• Léa:

    Au premier regard, elle m'avait plu, réveillant en moi un accès soudain de gourmandise.
    Dix huit ans ou dix-neuf ans, peut-être.Longue et brune, un teint clair, délicat comme une porcelaine, des cheveux mi-longs abondamment bouclés et une bouche large, rouge, presque indécente sur ce visage ingénu.
    Voilà plus d'une heure que je l'observais, seule au comptoir, sirotant mélancoliquement un cocktail. Elle avait l'air préoccupé et lançait de fréquents regards vers la porte, comme si elle redoutait d'y voir apparaître un importun.
    Profitant de ce que son verre était vide, j'ai pris le mien et je suis venu m'asseoir à coté d'elle. L'ambiance du bar était feutrée, la musique douce, apaisante, idéale pour un tête-à-tête.
      - Vous permettez ?
    Son sourire ironique l'a rendue encore plus charmante.
      - M'avez-vous laissé le choix ?
      - Pas plus que vous ne me l'avez laissé.
    Elle a levé les yeux au ciel et s'est exclamée :
      - Vous plaisantez, je suppose ? Je ne vous avais même pas remarqué !
    J'ai hoché la tête, affectant une expression désolée.
      - C'est hélas mon problème : personne ne me remarque ! En revanche, lorsque vous êtes entrée, j'ai éprouvé un véritable choc. Ensuite, je n'ai pu m'empêcher de vous dévorer des yeux jusqu'a ce que je trouve le courage de quitter ma table pour vous adresser la parole.
    Le barman achevait de préparer un cocktail. Je lui ai fait signe de renouveler nos consommations et j'ai posé un billet de cinquante euros sur le comptoir. Ma jolie inconnue a penché la tête de côté et m'a examiné en silence avant de dire :
      - C'est amusant... Vous utilisez des méthodes de vieux dragueur : d'abord m'apitoyer, ensuite me complimenter, enfin jouer les grands seigneurs. Pourtant, vous n'avez pas l'air d'avoir plus d'une vingtaine d'annés.
      - Je suis plus âgé, ai-je admis, mais c'est effectivement l'âge que l'on me donne.Et vous, quel millésime ?
    Elle a mordillé sa lèvre inférieure puis laissé tomber avec un soupçon de provocation :
      - Vingt ans tout ronds.
      - Le plus bel âge de la vie, comme chacun le sait...
    Elle a haussé les épaules avec agacement et sa moue boudeuse a déclenché une vague de frissons le long de mon échine. Cette fille avait une bouche extraorinairement charnue. Une bouche à mordre. Mais ce n'était ni le moment ni le lieu.
      - Vous avez le goût des formules creuses ! a-t-elle répliqué. Au fait, quel est votre prénom, monsieur le séducteur ?
      - Vladimir. Mais vous pouvez m'appeler Vlad, comme la plupart de mes amis. Et le vôtre ?
    Elle a saisi le gin-fizz que le barman avait posé devant elle, en a retiré le petit éventail bariolé et a bu une gorgée.
      - Léa. Mais n'est-il pas encore un peu tôt pour que je vous compte au nombre de mes amis ?
    Ses lèvres, constellées de grains de sucre, ressemblaient à une friandise. Elle les a léchées de la pointe de sa langue et j'ai aperçu ses dents blanches et pointues comme celle d'une chatte.Troublé, j'ai aquiescé et avalé à mon tour une gorgée de mon bloody mary.
      - Laissons la nuit parler, Léa... C'est elle qui nous donnera la réponse. Et si je vous invitais à dîner ? Vous êtes très pâle, manger vous redonnera des forces !
    J'ai perçu de ses yeux un mélange d'irritation et d'intérêt. Ma prévenance maladroite la surprenait. L'intriguait peut-être.
      - Cessez de me parler comme un vieux débris, nous avons quasiment le même âge !
      - Entendu. Mettons que ce soit moi qui meure de faim. Il me semble qu'on a ouvert un excellent restaurant attenant au bar.
    Elle m'a jaugé du regard, a balancé un instant et a vidé son verre d'un trait.
      - D'accord pour le dîner. Je meurs de faim moi aussi. Pour tout vous avouer, la tête me tourne un peu. Je n'ai rien pu avaler à midi.
    Tandis que nous quittions le bar, je lui ai demandé :
      - Qu'est-ce qui se passe, Léa, tu as des soucis ?
    Nouveau haussement d'épaules accompagné de sa charmante moue de contrariété.
      - Laissez tomber.Des trucs inintéressants dont je n'ai pas envie de parler. Tiens, vous me tutoyez à présent ?
      - Le << vieux débris >> s'apprivoise. Ca vous dérange ?
      - Non, je préfère.
      - Alors, va pour tu...
    Un serveur nous a accueillis à l'entrée de la salle et nous a placés à l'écart, le long des baies qui donnaient sur l'avenue. Léa a consulté la carte et levé les yeux vers moi,sans doute impressionnée par les prix affichés.
      - Prends ce qu'il te plaît. Ce soir, c'est fête.
      - Tu as tiré le jackpot ?
      - Non, j'ai la chance d'appartenir à une famille aisée et de t'avoir croisée. C'est beaucoup pour un seul homme. Tu es étudiante ?
    Elle a opiné.
      - Je suis en fac de pshyco.
    Devançant sa question, j'ai précisé :
      - Et moi en médecine. Je compte me spécialiser en hématologie.
      - Impressionant ! C'est pour ça que tu parlais de mon teint pâle, tout à l'heure ? Tu te croyais au boulot ?
      - Touché ! Bon, qu'est-ce qui te tente ? Ca a l'air bon.
    Un froncement de sourcils, un coup d'oeil à la liste des plats.
      - J'adore les crustacés. Je me laisserais bien tenter par les crevettes sautées à l'ail et aux petits légumes.
    Reposant ma carte, j'ai secoué la tête.
      - Pardonne-moi d'insister, mais tu ferais mieux de faire provision de globules rouges en choisissant un tournedos saignant et son foie gras poêlé. Tu as besoin de nourritures qui tiennent au corps. Et puis l'ail donner une haleine épouvantable.
    J'avais adopté un ton professionnel qui l'a fait éclater de rire.
      - Merci de te préoccuper de mon haleine ! Bon, d'ccord pour le tournedos, docteur Jekyll. Mais tu m'accompagnes !
      - Volontiers.
    La soirée qui a suivi fut une des plus délicieuses qu'il m'ait été donné de passer, peut-être parce qu'elle ne s'est pas terminée comme je l'escomptais et qu'un désir inassouvi est source de plaisir aigu, même s'il se mêle de nostalgie et d'espoirs déçus.
    De temps à autre, Léa se laissait aller à des pensées lointaines. Elle restait muette, et l'air préoccupé qui m'avait frappé alors que je l'épiais assombrissait ses jolis traits.
    Cette fille me plaisait. Tout en elle était d'une incroyable délicatesse : la peau translucide de ses mains sous laquelle je devinais la dentelle rose des veines, sa bouche écarlate et gonflée, la douceur soyeuse et palpitante de son cou.
      - Tu picores ! s'est-elle étonnée. J'ai rarement goûté une cuisine aussi savoureuse !
    J'ai contemplé le contenu de mon assiette avec répugnance.
      - Comment peut-on avoir de l'appétit pour ces rogatons quand on se trouve face à toi ?
    Léa a levé son verre à ma santé. Ses yeux pétillaient sous l'effet de l'alcool.
      - Tu sais, je vais finir par croire à tes flagorneries si tu insistes autant.
    Elle a eu un sourire triste.
      - Ca faisait longtemps qu'on n'avait pas été aussi gentil avec moi. Tu es vraiment adorable.
      - Je te retourne le compliment.
      - Il y'a une discothèque à côté, ça te dirait d'y aller ? m'a-t-elle alors proposé. J'ai envie de rire, de m'amuser.
    En guise de réponse, j'ai posé ma main sur la sienne.
    Elle ne l'a pas retirée.

    Nous avons longuement dansé, blottis l'un contre l'autre. Comment trouver les mots pour décrire le plaisir que j'éprouvais à sentir son corps tiède et parfumé contre le mien ? Comment évoquer mon désir que décuplait l'attente ? Cette attente délicieuse que je m'imposais. Ne rien hâter, savourer chaque seconde était un règle à laquelle je me pliais de bonne grâce.Je n'avais jamais eu qu'a m'en louer.
    Minuit approchait. Nous terminions nos verres quand je l'ai vue se raidir. Elle fixait un point de l'autre côté de la piste. J'ai suivi son regard. Un garçon grand et blond, au visage brutal, était accoudé au bar, une de ses anciennes conquêtes ? Visiblement, il ne nous avait pas remarqués.
      - Je voudrais qu'on y aille, maintenant. Tu me ramènes chez moi ?
    Sa voix était anxieuse.
      - Tout de suite ? me suis-je étonné.
    Léa a agrippé ma main et m'a entraîné vers la sortie.
      - Il y a un problème ?
      - Non, aucun. Disons qu'il y a quelqu'un ici que je ne souhaite pas rencontrer.
    L'expression affolée qui animait ses yeux démentait ses propos mais je me suis garder de l'interroger davantage. Le boulevard de la gare était très animé en dépit de l'heure tardive. Léa s'est immobilisée et a scruté les lieux et les visages de passants. Soulagée, elle m'a demandé :
      - Où est ta voiture ?
      - Dans un petit parking tranquille, juste derrière.
      - Alors on y va.
    Nous avons pressé le pas et nous sommes engagés dans l'entrelacs des ruelles désertes qui longe les voies ferrées.
    Léa se taisait et ses doigts s'agrippaient aux miens avec une force incroyable.Nous étions à deux pas de notre destination quand quelqu'un à crié :
      - Léa !
    Elle a lâché ma main et poussé un cri de terreur. Je me suis retourné. Un garçon brun venait vers nous. Il tenait une batte de base-ball.
    Assez grand, musclé, sanquin, il dégageait une désagréable impression de violence. Deux hommes l'accompagnaient : le grand blod que j'avais aperçu quelques minutes plus tôt et un type voûté et maigre comme un clou.
      - On ne bouge plus ! a ordonné le brun avec un sourire mauvais.
      - Greg, fiche-nous la paix, a gémi Léa. Je t'ai dit cent fois que c'était fini.
    Balançant négligemment sa batte, il s'est avancé de quelques pas et s'est immobilisé à un mètre de nous.
      - Ce ne sont pas les autres qui décident pour moi, ma jolie ! Mais moi. Moi seul.
    A trois reprises, il s'était appesanti sur << moi >> , comme si c'était le mot le plus précieux de son vocabulaire.
      - Tu sais Léa, tu m'as beaucoup déçu.
    Son expression était pateline, le ton de sa voix nuancé de reproches et de menaces. Ses deux acolytes sont venus se placer à ses côtés. A leur regard, j'ai compris que la soirée ne tournerait pas exactement comme je l'avais souhaité.
    Greg m'ignorait. Il a vrillé ses yeux dans ceux de Léa et a sifflé :
      - Tu vas me suivre. On oublie ce qui s'est passé et on reprend tout à zéro à partir de maintenant.Tu as juste besoin d'un bon dressage...
    Il a tendu la main pour effleurer sa joue mais elle a eu un violent mouvement de recul et a repoussé son bras.
      - T'es malade, Greg, t'es un grand malade. Je ne veux plus jamais entendre parler de toi. C'est fini, je t'ai dit. Fini. Tu m'en as trop fait baver !
      - C'est ton dernier mot ? a-t-il interrogé avec douceur.
      - Mon dernier mot, oui ! Laisse-nous maintenant.
    J'avais décidé d'intervenir mais je n'ai pas eu le temps d'esquisser un geste.
    Greg a empoigné sa batte à deux mains età décoché un coup formidable sur la tempe de Léa. J'ai entendu l'os craquer et elle s'est effondrée, sans un cri.
    Tétanisé, j'ai contemplé son corps, grotesquement écartelé sur le sol. Ses yeux étaient restés ouverts mais j'ai immédiatement su qu'elle était morte. J'ai trop vu de cadavres au cours de mon existence pour ne pas en reconnaître un au premier coup d'oeil.
    Un sang vermeil coulait de son nez et de sa bouche ; je n'ai pu retenir un frisson. Simultanément, une intense colère m'a saisi. Ce crétin avait tué Léa !
    Pour rien.
    Greg m'observait, goguenard.
      - Tu comprends qu'on va devoir se débarrasser de toi. Dans ce genre d'histoire, faut jamais laisser de témoin.
    Il a gloussé et ajouté :
      - T'as vraiment pas eu de chance de la rencontrer.
      - C'est peut-être vous qui n'avez pas eu de chance en me rencontrant, ai-je répondu sur un ton glacé.
      - Ah bon, t'es expert en kung-fu ?
    Il était si près de moi que je sentais l'odeur déplaisante de so, après-rasage.
      - Le combat de rue, ça me connaît, pauvre mec. Surtout les coups pourris...
    Ses copains ont poussé des ricannements satisfaits.
    A cet instant, j'ai entendu le claquement d'un couteau à cran d'arrêt. La pointe d'une lame a égratigné mon ventre. Greg a posé son front poisseux sur le mien.
      - Tu préfères faire tes prières ou tu me supplies de t'épargner ?
      - Je n'ai prié ni supplié quiconque depuis bien longtemps, jeune homme.
    Les deux autres ont cessé de s'esclaffer et Greg a paru ébranlé par mon calme. Un grognement de colère lui a échappé et il a pesé de tout son poids sur la lame, l'enfonçant jusqu'a la garde. Comme je ne m'effondrais pas, il a reculé d'un pas mal assuré.
    Les trois hommes contemplaient,les yeux exorbités, le manche qui dépassait de mon ventre. Je n'ai pas prise la peine de l'en arracher. Tendant les bras, j'ai croché les gorges du blod et du maigre, je les ai soulevés comme deux pantins et j'ai brisé net les os de leurs cous, avec une certaine satisfaction, je le reconnais. Quand je les ai lâchés, ils se sont écroulés sur l'asphalte.
      - Vois-tu, Greg, ai-je dit en retirant le couteau et en le jetant dérière moi, je suis très, très en colère.
    Il ne me quittait pas des yeux, paralysé par la terreur.
    Je lui ai largement souri et il a poussé un gémissement de panique quand il a constaté que mes canines s'arquaient à présent comme les crocs d'un fauve.
    J'ai désigné le cadavre de Léa. Son sang dessinait une auréole vermeille autour de sa tête.
      - Tu m'as privé de ma proie, Greg, et j'ai le regret de t'annoncer que tu vas la remplacer.
    Il a trouvé la force de s'enfuir mais je l'ai rattrapé, j'ai planté mes dents dans son cou et j'ai bu son sang tiède et épais.
    Il était excellent, mais personne ne m'ôtera de l'idée que celui de Léa l'aurait été bien davantage. Foi de vampire.


    Le centre aéré

    Bastien est moi devions nous retrouver au centre aéré. Nos parents s'étaient donné rendez-vous à huit heures et demie et je ne pouvais m'empêcher de guetter le passage des dix minutes sur l'horloge du tableau de bord
    Je ne peux pas dire que j'étais angoissé mais, à chaque fois que je découvre un nouveau lieu ou des gens nouveaux, une petite boule désagréable se forme dans ma gorge et gêne ma respiration.
    La grosse voiture des Lefranc était déjà garée sur le parking quand nous sommes arrivés.Bastien en a jailli et m'a adressé des signes joyeux. J'ai ouvert ma portière et je l'ai rejoint. Il a tendu sa main et m'a dit, en prenant la voix de Buzz l'Eclair :
      - Salut Martin ! En route pour l'infini... Et au-delà !
    J'ai claqué ma paume sur la sienne et j'ai éclaté de rire. En moins d'une seconde, la petite boule s'était évanouie. Et mon appréhension avec.
    Bastien était mon meilleur copain. Depuis la maternelle. Autant dire une éternité. En tout cas, je ne connaissais personne avec qui j'avais autant de plaisir à m'amuser. Nous aimions les mêmes gens, les mêmes jeux, les mêmes films. Nous nous ennuyions de la même façon. Bastien, c'était comme mon frère !
    Quand, un mois plus tôt, ma mère avait expliqué à M. et Mme Lefranc qu'elle m'inscrirait au centre aéré pour les vacances de la Toussaint, ceux-ci avaient trouvé l'idée excellente et décidé d'y envoyer aussi leur fils.
    Moi, ça m'avait rassuré de ne pas me retrouver seul dans un endroit où je ne connaissais personne.
    Abandonnant le groupe d'adultes, mon père a pris ma main et m'a montré le terrain qui s'étendait à la droite des bâtiments.J'ai aperçu des agrès et un toboggan sur lequel quelques enfants jouaient sous la surveillance d'un jeune homme en survêtement.
      - Tu vas voir, Martin, je suis sûr que vous allez vous régaler ! Ce centre aéré a une excellente réputation.
      - Même la cantin est délicieuse, paraît-il ! a ajouté ma mère en me lançant un clin d'oeil. Enfin, c'est ce qu'affirme le directeur. Tu nous raconteras ce soir.
    Nous nous sommes dirigés tous les six vers une petite maison accolée au bâtiment principal. Une jeune fille brune assise à une table de camping s'occupait de l'accueil des arrivants. Elle nous a dit s'appeller Cléa puis elle a inscrit mon nom et celui de Bastien dans un registre.
    Papa m'a ébouriffé les cheveux.
      - Ca va, mon grand ?
    J'ai acquiescé. Mes parents m'ont embrassé. Ils ont serré la main des Lefranc et ils sont partis en me disant : << A ce soir. >> Les parents de Bastien, qui s'étaient attardés avec un moniteur, les ont rapidement suivis.
    Je me sentais un peu triste mais j'ai essayé de ne rien montrer de ce que j'éprouvais. Je crois bien que Bastien était dans le même état que moi. Rapidement, les adultes nous ont réunis dans une salle et un moniteur, qui s'est présenté comme le directeur, a constitué les groupes.
    Etant du même âge, Bastien et moi nous sommes retrouvés ensemble.
    Notre moniteur, Alexandre, était un grand type costaud qui nous à immédiatement entraînés à l'extérieur pour une partiede ballon prisonnier. Ensuite, il a distribué un goûter. Il faisait très doux. Je me suis assis dans l'herbe pour manger mon gâteau et j'ai observé les membres de mon groupe.
    L'un d'eux était étrange. C'était un garçon au visage poupin, aux traits fins, presque féminins, aux cheveux mal coupés et trop longs. Il paraissait émerger à chaque seconde d'un rêve biscornu. Quand il posait ses yeux sur vous, on avait l'impression qu'il ne vous voyait pas. Ensuite, c'était comme si une buée quittait ses pupilles et il vous souriait. Plusieurs fois, je l'avais entendu parler seul, à voix basse.
      - Qui c'est ? ai-je demandé à Romain, un garçon avec qui j'avais sympathisé pendant la partie de ballon prisionnier.
    Il a suivi mon regard.
      - Ca ne m'étonnes pas que tu l'aies remarqué. Il vient içi les mercredi après-midi et pendant les vacances.Son nom, c'est Landry, mais on l'appelle le dingo. Il est sympa mais par moments, il fout la trouille aux petits.
      - La trouille ? a demandé Bastien. Pourquoi, il est agressif ?
    Notre copain s'est mordu les lèvres pour ne pas rigoler
      - Agrssif, lui ? Non. C'est parce qu'il parle de trucs qui n'existent pas. Par exemple, il affirme que des enfants du centre aéré ont été enlevés. Il donne même des noms. Il les décrit. Tu penses que les gamins de six ans, ca les terrorise !
    Romain paraissait s'amuser beaucoup. Moi, j'éprouvais une angoisse diffuse. Inexplicable. Les muscles de mon dos se contractaient douloureusement. J'ai croisé le regard de Bastien. Il n'est pas du genre à s'affoler mais là, j'ai bien vu qu'il n'en menait pas plus large que moi.
      - Et c'est vrai ?
    Romain a vissé son index sur sa tempe et lui a imprimé un mouvement énergique.
      - Tu rigoles ? Jamias personne n'a disparu d'içi ! Vous pensez bien que si c'était le cas, le police aurait fait une enquête et le centre aurait fermé. Il y a un mois, le directeur s'est fâché et a menacé de le renvoyer s'il continuait à raconter ses salades. En fait, Landry, il invente tout, mais il paraît tellement sûr de lui qu'on finit par y croire, à ses délires.
      - Bon, eh ben moi, s'il vient me casser les pieds vec ses bobards, a conclu Bastien, je lui dirai de dégager vite fait et ce sera terminé !
    Les autres ont éclaté de rire et on a changé de sujet.
    Le reste de la matinée a été consacré à des activités d'intérieur puis on s'est tous retrouvés au réfectoire. Le déjeuner était aussi savoureux que maman me l'avait prédit. Après le repas, on a eu quartier libre en attendant de reprendre les activités encadrées.
    Bastien et moi, on s'est installés sur un banc, sous un arbre planté en face de l'accueil, et on a commencé à discuter du centre, des moniteurs et des nouveaux copains.
      - Tiens, s'est étonné soudain Bastien, regarde qui se ramène : le dingo !
    Effectivement, Landry venait dans notre direction.
    Quand il est arrivé à deux mètres de nous, il s'est arrêté et nous a dévisagés avec attention. Il a cligné des yeux à plusieurs reprises puis il a passé sa main sur son visage, comme pour en enlever une toile d'arraignée, et l'a secouée.
      - Vous savez ce qui se passe ici ? nous a-t-il demandé. Enfin, pas tout le temps...
    Bastien a haussé les épaules en signe d'agacement. Je me suis contenté de faire non de la tête.
    Landry est venu s'asseoir au bord du banc et a montré le parking.
      - C'est... c'est par là qu'ils viennent.
    Sa voix grelottait.
      - Qui ça ils ? s'est énervé Bastien.
    D'un geste précieux, notre interlocuteur a repoussé ses cheveux derrière ses oreilles puis ses mains ont papillonné dans le vide.
      - De toute façon, on ne me coit pas quand je dis ce que je sais.
      - Et tu sais quoi ? ai-je interrogé.
      - Tu vois pas qu'il débloque ! m'a interrompu Bastien. Allez, on s'en va, il me fout les jetons !
    Landry a voulu se lever mais je l'ai retenu. Quelque chose dans son expression me disait qu'il ne plaisantait pas.
      - Non, reste, je t'en prie !Moi je te crois. Qu'est-ce que tu sais ?
    Ses mains, emportées par un mouvement irrépressible, ont de nouveau virevolté devant ses yeux. Quand il les a rabaissées, j'ai découvert son visage convulsé de tics.
      - Et bien parfois, ce ne sont pas les parents qui viennent chercher leurs enfants et qui les emmènent.
    J'ai eu du mal à retenir mon hilarité et Bastien a laissé échapper un soupir atterré.
      - C'est normal, ai-je répondu. Si mes parents ne peuvent pas se libérer, c'est ma tante ou le père de Bastien qi me raménera chez moi. La direction du centre est au courant.
      - Ce n'est pas ce que je voulais dire, a repris Landry, mal à l'aise. En fait, ceux qui viennent le soir sont comme les parents. Et personne ne s'en rend compte.
      - Personne à part toi, bien sûr ! s'est emporté Bastien. Et ils sont où, pendant ce temps, les vrais parents ? Ils attendent qu'on leur pique leurs enfants ?
      - Je l'ignore à reconnu le dingo.
      - Et ils en font quoi des enfants, gros malin ? a poursuivi Bastien. Ils les bouffent ?
    Le dingo a mordu l'ongle de son pouce et une épouvantable expression de terreur à déformé ses traits.Il a balbutié :
      - Ils les... En fait, je n'en sais rien. Personne ne les revoit jamais. Personne ne s'en souvient ! Ces enfants s'évanouissent et c'est comme s'ils n'avaient jamais existé.
      - Tu nous prends pour des débiles ! a explosé mon ami. Et toi, Martin, tu l'écoutes ?
    Bastien m'a foudroyé du regard. Il a flanqué un coup de pied sur le banc et il est partit à grandes enjambées vers le bâtiment.
      - Je suis désolé, a murmuré Landry. Ton copain me prend pour un fou.
      - Reconnais qu'il y a de quoi se poser des questions...
    J'allais suivre Bastien quand le dingo m'a retenu par la main et m'a dit :
      - Ecoute-moi ! Si par malheur ça t'arrivait, ne mange rien de ce qu'ils t'offriront. S'ils essaient d'entrer dans ta chambre, dis-leur simplement : << Vous savez bien que vous ne pouvez pas entrer ici. >> Ils n'insisteront pas. Ensuite, attends le matin. Ils te ramèneront ici.
    Une fois de plus, j'ai eu droit à la danse folâtre de ses mains. Elles ont fini leur course devant sa bouche, étouffant à moitié ses paroles.
      - Comment tu sais ça, toi ?
    Il m'a souri, a montré le prking et m'a dit :
      - Parce que je suis revenu. Et maintenant, si je veux m'en sortir, il faut que quelqu'un me croie et revienne à son tour.
    Qu'est-ce que je pouvais répondre à de pareilles sornettes ? J'ai gentiment tapoté son épaule et je l'ai abandonné à ses divagations.

    Le reste de la journée a passé très vite. Alexandre nous a emmenés faire une grande balade dans les bois puis nous avons consacré le reste de l'après-midi à confectionner des masques pour la fête du vendredi. Plusieurs fois, j'ai essyé de parler à Bastien. J'avais envie de lui rapporter la fin de la discussion avec Landry mais il me battait froid, comme s'il m'en voulait de l'avoir écouté jusqu'au bout.

    Ce n'est que le soir, quand j'ai aperçu la voiture de mes parents se garer sur la parking, qu'il m'a lancé avec un sourire en coin :
      - A demain, Martin. Et fais gaffe !
    Je l'ai regardé avec surprise. Bastien a levé ses deux bras et a replié ses doigts comme des griffes.
      - Tu sais bien que les forces obscures sont parmi nous !
    J'étais contente de voir qu'il ne me faisait plus la tête.
    On s'est serré la main et j'ai couru retrouver mes parents.
    Ils m'ont embrassé et, une fois dans la voiture, ils m'ont pressé de questions sur ma journée. Ravi, je la leur ai racontée dans les moindres détails, en omettant toute-fois les << révélations >> de Landry. Je n'avais pas envie qu'ils se moquent de lui ou qu'ils m'interdisent de lui adresser la parole.
    Bientôt,épuisé par ma journée, je me suis tu et j'ai commencer à somnoler, bercé par le ronronnement du moteur, l'atmosphère tiède qui régnait dans l'habitacle.
    J'allais m'endormir quand un cahot m'a tiré de ma torpeur. A travers mes yeux mi-clos, j'ai aperçus mes parents qui me fixaient.Ma mère, passe encore,mais mon père...
    C'était impossible : la voiture avançait à toute allure et il tenait le volant ! Je me suis alors rendu compte que seules leurs têtes avaient pivoté vers moi, sans que leurs corps aient bougé d'un centimètre. Ils avaient le visage tendu, avide...
    J'ai poussé un cri et je me suis débattu. Ma mère s'est retournée, alarmée, et m'a demandé :
      - Qu'est-ce qui se passe, mon chéri ?
    J'avais rêvé ! Je m'étais laisser piéger par un monstrueux cauchemar que cette ridicule conversation avec Landry avait évidemment nourri. Reprenant mes esprits, j'ai bredouillé :
      - Rien, m'man, un rêve bizarre. Cette journée m'a fatigué...
    Elle a hoché la tête :
      - Ca ne m'étonne pas, les activités de plein air sont exténuantes et creusent l'appétit. Je t'ai préparé un bon repas. Ensuite, tu n'auras qu'à te coucher tôt.
    Papa a remonté l'avenue de la Libération et a tourné sur la gauche. Nous sommes arrivés dans notre rue. Il s'est garé. J'était content de retourner à la maison et la perspective du dîner me mettait en joie. Un feu crépitait dans la cheminée du salon. Je me suis affalé dans un fauteuil et je suis resté un instant à regarder danser les flammes. Dehors, la nuit était tombée, si ténébreuse, si épaisse qu'on l'aurait dit peinte sur les vitres des fenêtres.
    Souvent, on entend les trains de la gare toute proche mais là, il régnait un silence d'une extraordinaire densité.
    mon père a posé un bol rempli de cacahuètes sur la table basse. Lorsqu'il s'est assis, j'ai entendu un léger cliquetis , pareil à celui de baguettes qu'on entrechoque.
      - C'est quoi ce bruit ?
      - Quel bruit ?
    J'avais vraiment les nerfs à fleur de peau. Il m'a tendu le bol.
      - Tu en veux ?
    J'ai avancé la main puis, au denier moment, je l'ai retirée. Les cacahuètes étaient grisâtres, toutes ridées, pas du tout appétissantes. Elle devaient traîner depuis des mois dans une boîte au fond du placard.
      - Non merci, ai-je répondu, je n'ai pas faim.
    Un rictus de contrariété a crispé ses lèvres. Il s'est renforcé dans son fauteuil, a plongé sa main dans le bol et s'est mis à mâchonner les graines grises sans un mot.
    Maman s'affairait dans la cuisine. Je l'ai rejointe. Elle m'a accueilli avec un sourire éblouissant.
      - Pas trop faim, Martin ? Le dîner est bientôt prêt.
    J'ai jeté un coup d'oeil à travers la vitre du four. Un énorme rôti achevait de dorer. D'habitude, j'en aurais eu l'eau à la bouche, mais là, je ne sais pas pourquoi, j'ai éprouvé un irrépressible dégoût. Les paroles de Landry résonnaient dans mes oreilles : << ... si par malheur ça t'arriverait, ne mange rien de ce qu'ils t'offriront. >>
    << Pauvre débile ! ai-je pensé. Qu'est-ce que tu es en train de t'imaginer ? >>
      - Martin, tu ne me réponds pas ? a demandé ma mère, surprise par mon mutisme.
      - Euh... si. C'est juste que je n'ai pas faim. J'ai trop mangé à midi. En fait, je me sens un peu malade. Je vais m'allonger.
    Comme papa,elle n'a rien manifesté mais j'ai perçu son mécontentement. mal à l'aise, je suis sorti de la cuisine et je suis monté dans ma chambre. Par la porte du salon, j'ai entraperçu mon père qui regardait fixement le feu, aussi immobile qu'une statue.
    Une fois dans ma chambre, j'ai essayer de me calmer, sans y parvenir. Une ritournelle exaspérante résonnait dans ma cervelle. J'entendais la voix de Landry répéter :
    << En fait,ceux qui viennent le soir sont comme les parents, ils leur ressemblent à la perfection, mais ce ne sont pas les parents. Et personne ne s'en rend compte. >>
    Landry était fou à lier, c'était évident ! Alors pourquoi est-ce que je me laissais envahir par la peur ? La peur de quoi, d'ailleurs ? Des parents qui se préoccupent de savoir si leur fils a faim, rien de plus normal, non ? Et si les cacahuètes avaient un drôle d'aspect, c'est qu'elles étaient trop vieilles !
    J'ai eu besoin de téléphoner à Bastien pour lui livrer mes angoisses. Il se ficherait un bon coup de moi et tout rentrerait dans l'ordre. Plutôt que de descendre au salon, je suis allé dans le bureau de mon père. J'ai décroché le combiné. Aucune tonalité.Surpris, j'ai appuyé à plusieurs reprises sur le bouton d'appel. Toujours rien. J'ai songé utiliser celui du salon mais je n'avais pas envie d'appeler devant mes parents. Je voulais parler à mon copain sans que quiconque épie notre conversation.
    Gagnant la fenêtre, j'ai posé mon front contre la vitre. Elle était glacée. J'ai essayé de distinguer les lumières de la ville au travers mais on aurait dit qu'une coulée d'encre avait obscurci le paysage.
    Dehors, c'était le néant. Notre maison était devenur une espèce de vaisseau fantôme naviguant sur un océan de noirceur. Obéissant à une impulsion brutale, j'ai tenté d'ouvrir la fenêtre. Elle était bloquée alors que j'étais certain de l'avoir vue entrebâillée la veille. J'ai regagné ma chambre. Derrière les carreaux, la nuit était impénétrable. Je n'ai même pas essayé de tourner la poignée de ma fenêtre. J'étais certain qu'elle me résisterait.
    J'avais l'inssuportable certitude à présent que je n'étais pas chez moi. J'étais dans un endroit qui en était la reproduction exacte, avec des gens qui avaient l'apparence de mes parents mais qui n'étaient pas eux. J'ai observé mon lit, mon bureau, ma bibliothèque. Soudain, ces objets familiers me semblaient inquiétants. Etrangers. Ils se semblaient appartenir à un décor de théâtre.
      - Arrête ! ai-je murmuré. Tu dérailles !
    La tête me tournait. Je me suis allongé sur le lit et me suis relevé aussitôt. Des pas résonnaient dans l'escalier. D'un bond, je suis sorti de ma chambre et j'ai fait irruption dans le couloir. Mes parents se tenaient côte à côte, très raides, et me souriaient.
      - Ca va mieux, fiston ? a demandé mon père.
    Sa voix était légèrement sifflante.
      - Très bien, merci.
      -  Tu viens manger ? a poursuivi ma mère.
    J'ai incliné le menton et je les ai suivis à contrecoeur jusqu'a la cuisine. Sur la table, trônait une énorme pièce de viande fumante. Elle répandait un parfum poivré, entêtant, mêlé d'arômes indéfinissables. Nous nous sommes assis. Mon père a pris un couteau et l'a enfoncé dans le rôti. Dans un abject bruit de succion, la chair s'est fendue en plai rosâtre.
    Il a coupé des tranches épaisses. Le sang rouge sombre, presque noir, qui s'accumulait au fond du plat m'a arraché un haut-le-coeur. J'ai mis ma main devant ma bouche.
      - Qu'est-ce que tu as ?
    Ma mère avait piqué un morceau de viande et s'apprêtait à le poser dans mon assiette. J'ai repoussé sa main. Elle était froide et sèche.
      - Non merci, maman. Je ne pourrais rien avaler ce soir.
      - A ton âge, il faut manger, a insisté mon père.
    Alors, sans trop savoir pourquoi je prononçais ces mots précis, j'ai dit :
      - Vous savez bien que je ne peux rien manger içi.
    Ils se sont pétrifiés, leurs yeux posés sur moi, longtemps, puis ils se sont regardés. les doigts de ma mère pianotaient sur la table comme des pattes d'insecte, ses ongles cliquetant en cadence. mon père s'est passé la langue sur les lèvres. Elle était aussi écarlate que le sang qui ruisselait du rôti.
      - Alors va te coucher, a ordonné ma mère sur un ton irrité.
    Sans attendre, j'ai posé ma serviette et je suis sorti de la cuisine.Avant de retourner dans ma chambre, j'ai fait un crochet par le salon et j'ai soulevé le combiné. Pas de tonalité.
    De la cuisine, me parvenaient des sons répugnants :
    déglutitions, mâchonnement, clapotis, halètements.
    Ils mangeaient.
    Je me suis bouché les oreilles et j'ai monté les escaliers. Une soif terrible me tenaillait. Je suis allé à la salle de bains et j'ai ouvert le robinet du lavabo. Un mince filet d'eau s'est mis à couler. Elle était légèrement trouble, visqueuse, et une odeur bizarre s'en dégageait. Je me suis approché et j'ai reniflé. Ca sentait le vieux, la vase. Et puis le liquide s'est tari et les tuyaux ont fait entendre une drôle de plainte. J'ai couru m'emfermer dans ma chambre et je me suis glissé sous les draps, sans même me déshabiller.
    Je n'entendais aucun bruit en bas. Un martèlement sourd résonnait dans mon crâne et j'ai mis longtemps à comprendre qu'il s'agissait des battements de mon coeur. Je sentais la panique monter. Si je ne me calmais pas, j'allais me mettre à hurler.
    << Tu ne dois pas craquer, me répétais-je. Tu n'as pas le droit de craquer ! Landry s'en est bien sorti, lui ! >>
    Je me sujis assis dans mon lit, me raccrochant aux objets de mon quotidien : mes jouets, mes livres. Il me semblaient maintenant les percevoir à travers une lentille ou un verre déformant. Ma chaise, mon bureau étaient tordus, la porte et la fenêtre partaient de guingois, le tapis se couvrait de boursouflures. Affolé, j'ai posé mes mains sur mes yeux et j'ai essayé de ne pas éclater en sanglots.
    Un cliquetis m'a fait sursauter. Mon père et ma mère se tenaient sur le seuil de ma chambre.
      - Tu n'as toujours pas faim ? m'a demandé ma mère
    J'ai secoué la tête, terrifié à l'idée qu'ils s'approchent de moi. Ils n'nt pas bougé. Ils se tenaient très raides, les bras ballants.
    De longs bras. Trop longs. Trop maigres.
    Leurs mains s'ouvraient et se refermaient très lentement, semblables à ces créatures marines, moitié animal, moitié fleur, qui palpitent et frissonnent au plus léger courant. Mon père a déplié son index qu'il a pointé vers moi :
      - A ton âge, il faut manger. Nous, nous avons mangé.
      - Et pourtant, a renchéri ma mère, nous avons encore faim.
    Ses yeux étincelaient, les ailes de son nez fémissaient et ses lèvres cramoisies étaient distendues par un sourire vorace.
      - Pouvons-nous t'embrasser pour la nuit, mon chéri ?
    Sa voix était déplaisante, légèrement rauque. Elle a fait mine d'avancer
      - Non! Vous savez bien que vous ne pouvez pas entrer içi.
    Une expression d'exaspération s'est gravée sur sa face.
      - Allons, Martin, a insisté mon père, il est normal que des parents souhaitent une bonne nuit à leur enfant.
    Son ton était sans appel.Je me suis tu. Bientôt,leur exaspération a cédé sa place à une sourde colère. J'en sentais les vibrations parvenir jusqu'a moi. Pourtant, ils ne bougeaient pas, retenus par une muraille invisible. Je ne pourrais pas dire combien de temps celà a duré.
    Ma mère, soudain, s'est retournée d'un bloc et mon père l'a suivie. J'ai entendu leurs pas cliquetants s'éloigner et disparaître. Harassé, je me suis rallongé.Je claquais des dents. Mes bras et mes jambes étaient traversés d'élancements douloureux.
    Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit, m'attendant à ce qu'ils reviennent d'une minute à l'autre, mais la maison restait atrocement silencieuse. Au matin, ça a été comme si des écailles noires se décollaient des vitres. Le jour a empli ma chambre. A huit heures, je suis descendu. Mes parents étaient assis dans le salon, face à face. Quand ils m'ont vu, ils se sont levés. Nous sommes sortis et nous avons regagné la voiture. J'avançais dans une sorte de brouillard, abruti par la fatigue et la peur. Le voyage m'a paru très court. Mon père s'est garé. J'ai ouvert la portière et je suis sorti.Ils sont repartis sans un regard dans ma direction.

    Voilà, je suis revenu. Je regarde ma montre. Il est huit heures trente. Je m'en suis sorti. De quoi ? Je ne sais pas, mais Landry ne mentait pas. Je meurs de soif.Devant moi, se profilent les bâtiments du centre aéré. Des enfants jouent devant, crient, s'amusent. Qui me croirait si je racontais ce que j'ai vécu ?
    Je remonte vers les bâtiments. Je croise deux garçons accompagnés d'une fille blonde. Ils me regardent et ricanent. Je dois avoir une tête de déterré.
    Cléa, la monitrice qui s'occupe de l'accueil, console un petit qui pleure à chaudes larmes. Il est assis sur ses genoux. Je me dirige vers elle et je lui dmande :
      - Bonjour, est-ce que Bastien est là ?
    Elle fronce les sourcils.
      - Qui ?
      - Bastien. Bastien Lefranc. On est arrivés ensemble hier matin.
    Le registre des absents et ouvert. Elle suit de l'index une liste et me regarde.
      - Il n'y a personne de ce nom inscrit au centre aéré. Tu es sûr que tu n'as pas rêvé ?
    Mes jambes flageolent. D'un geste nerveux, je repousse mes cherveux derrière mes oreilles.
      - Et Landry, il est là ?
    Cléa éclate de rire.
      - Celle-là, tu ne nous l'avais jamais faite ! Allez, file, andouille !
    D'un pas chancelant, je me dirige vers les toilettes.Je me penche sur le lavabo, j'ouvre le robinet et je bois à m'en faire exploser l'estomac. Puis j'éclabousse mon visage, je le lave, je le frotte à m'en arracher la peau.
    Bastien ? Où est Bastien ? J'ai envie de pleurer.
    Des bribes de notre conversation avec Landry me reviennent:
    << Et ils en font quoi des enfants, gros malin ? ils les bouffent ? >>
    << Il les... En fait, je n'en sais rien. Personne ne les revoit jamais. Personne ne s'en souvient!Ces enfants s'évaporent et c'est comme s'ils n'avaient jamais existé. >>
    Je laisse fuser un gémissement car une certitude m'habite, à présent : Bastien n'a pas voulu entendre les conseils du dingo ! Bastien a mangé ce qu'on lui a donné. Bastien a laissé ses << parents >> entrer dans la chambre !
    Et Landry, où est-il passé ? Pourquoi Cléa s'est-elle moquée de moi ?
    Je me souviens de la phrase étrange qu'il m'a dite :
    << Et maintenant, si je veux m'en sortir, il faut que quelqu'un me croie et revienne à son tour. >>
    Ca veut dire quoi : si je veux m'en sortir ? M'en sortir de quoi, d'abord ?
    Je me relève et je cherche mon reflet dans la glace.
    Sur la vitre emperlée de gouttelettes, un visage qui n'est pas le mien se découpe. Un visage poupin, aux traits fins, presque féminins, aux cheveux mal coupés et trop longs.
    Je n'ai pas le temps de digérer ma surprise,trois garçon viennent d'entrer dans les toilettes. Une main se pose sur mon épaule et une voix espiègle me souffle :
      - Salut Landry ! Alors, tu as encore vu un fantôme ?


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    Ah !! La Plage: Le soleil, L'eau turquoise, Le Sable fin et chaud et les Surfeurs...

     

    Moi cette année pour les vacances j'ai passée deux semaines a la montagne en haute savoie...

     

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  • athos floyd


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